Ni la charia ni le coup d'Etat

Turquie : « Ni la charia ni le coup d'Etat »




La Turquie connut dans son histoire récente trois coups d'Etat. J'avais 9 ans lors du premier, 20 au moment du deuxième. Et je ne laisserai personne dire, comme Paul Nizan, que c'est le plus bel âge de la vie car j'ai été contraint de quitter mon pays. Le troisième coup d'Etat, celui du 12 septembre 1980, fit saisir mon premier livre, « Un long été à Istanbul », pour « offense à l'armée et aux forces de sécurité nationales » . Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts du Bosphore et, grâce à la perspective européenne, je croyais que cette époque était à jamais révolue. Mais voilà qu'à nouveau l'armée intervient sur la scène politique pour empêcher que M. Abdullah Gül soit élu président de la République par le Parlement.
Le 29 avril, j'ai assisté à l'immense manifestation d'Istanbul, qui avait l'allure d'une véritable révolte des femmes contre la charia, pour préserver l'héritage kémaliste. Il est vrai que le gouvernement d'Erdogan était en train de le contester, tout en n'imposant pas, comme en Iran, un Etat islamique. Mais tel n'était pas l'avis des manifestants, ni d'ailleurs celui de l'armée, dont le mémorandum est incompatible avec la démocratie.
La Cour de Cassation ayant annulé la candidature d'Abdullah Gül, les élections anticipées sont désormais inévitables, et l'on verra si la majorité silencieuse qui s'est exprimée pour la première fois dans la rue mettra un terme à la politique antilaïque du gouvernement actuel.
Nedim GÜRSEL
Ecrivain turc et directeur de recherche au CNRS, vient de publier au Seuil « De ville en ville », une invitation au voyage dans la géographie des grands écrivains du XX e siècle .


Koyan:MERVE ARCASOY